L'histoire de John Counsell en français
L’histoire qui suit est une fiction historique, basée sur des recherches de nombreuses sources différentes. Merci à toutes les personnes qui ont documenté l’histoire de Lésions médullaires Canada.
Les vagues éclaboussent violemment le bateau qui s’approche de la terre. Mon cœur battant, tout comme ma tête. Je ne sais pas si c’est le roulis du pont ou l’adrénaline qui coule dans mes veines qui me noue l‘estomac. Je me sens mal, mais je suis alerte. Je suis prêt à partir.
J’entends un ordre fort de charger le rivage et je saute dans l’eau à hauteur de la taille. Presque au son de l’éclaboussement, d’autres soldats commencent à tomber autour de moi.
Les cris.
Le sang.
C’est un jour d’été, en août 1942. Je débarque à Dieppe.
J’arrive au rivage. C’est différent des plages sur lesquelles nous nous sommes entraînés en Angleterre. Le sol est fait de schiste, pas de cailloux et puisque le schiste bouge sous le pied, il est facile de trébucher. Je me demande où est le bateau avec les chars d’assaut. Pourquoi n’y a-t-il pas de renforts d’artillerie pour nous? Les chars d’assaut arrivent avec 20 minutes de retard, ralentis par la marée. Il y a 29 chars d’assaut sur le bateau. Quand ils sortent de la poupe, j’en vois deux tomber dans l’eau profonde. Je cours vers le bateau et je commence à aider à orienter les chars d’assaut sur la plage.
Je me retourne pour appeler mes hommes. Puis les cris et le sang viennent de moi.
Une balle me touche dans le dos. Même si je ne peux pas bouger mes jambes, je peux sentir le soleil du matin sur mon visage. Je pense à ma chère épouse, Maida. Les soldats continuent de tomber tout autour de moi. Les vagues lèchent leurs corps, essayant de les réveiller de ce cauchemar sanglant et sans fin.
Je m’allonge, immobile. Trop immobile. Mais je ne le remarque pas vraiment, car le sable dans mes yeux m’irrite. Je ne m’évanouis jamais, peut-être parce que c’est si bruyant. Je regarde l’horreur autour de moi. À un moment, et je ne peux pas dire combien de temps après, un autre soldat de ma troupe, The Royal Hamilton Light Infantry, me traîne jusqu’à un bateau qui est arrivé. J’essaie de l’aider à alléger sa charge, mais je n’arrive pas à mettre mes pieds sous mon corps. Des tirs et des mortiers tombent tout autour de nous. À notre grande surprise, nous arrivons au dernier bateau qui retourne en Angleterre. Mais le navire a attendu trop longtemps les derniers retardataires. La marée descend et maintenant la coque est coincée dans le sable. Quelques hommes sautent dans l’eau pour la déplacer et encore moins d’hommes y retournent. Nous partons sans eux. Honnêtement, je ne me souviens pas du voyage à travers la Manche. Moins de 50 % des hommes de cette bataille retournent en Angleterre.
J’ouvre les yeux et je suis dans un lit d’hôpital. Il y a une odeur étrange que je ne peux pas identifier. Il y a des tubes partout. Je suis à L’Hôpital neurologique no 1 de Basingstoke. Un médecin canadien nommé Harry Botterell s’occupe de moi. En fait, c’est un hôpital militaire canadien en Angleterre. Il me dit que je suis le premier soldat canadien qu’il a vu avec une lésion médullaire et qu’il me faudra un certain temps pour guérir et devenir assez fort pour rentrer à la maison.
Il s’avère que le Dr Botterell est très bon dans ce qu’il fait. Il utilise de nouvelles techniques médicales et de nouveaux médicaments pour me maintenir en vie. Pendant la Première Guerre mondiale, 80 % des soldats qui avaient une lésion médullaire n’ont pas survécu.
Pendant mon séjour à Basingstoke, je commence à apprendre à prendre soin de moi. Lors de nos conversations, le Dr Botterell me dit qu’il s’inquiète de ce qui arrivera aux personnes comme moi au Canada. Il n’existe pas de services de réadaptation pour les personnes atteintes de paraplégie. Il pense que je devrais rentrer chez moi et rejoindre d’autres personnes atteintes de lésions médullaires pour obtenir le soutien dont nous avons besoin du gouvernement. Je n’en suis pas sûr. Je pense que j’aimerais rester ici un certain temps et gagner des forces. Cependant, plus tôt qu’attendu, j’ai reçu l’autorisation de monter à bord du Lady Nelson pour rentrer au Canada. Lorsque nous débarquons, je voyage en train jusqu’à l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal.
J’ai subi plusieurs opérations de la colonne vertébrale sous la direction du neurochirurgien principal, le Dr William Cone (link is external). Ensuite, je pense à l’avenir. Parfois, je me demande pourquoi j’ai été sauvé. Certains des autres hommes de l’Institut ne disent pas un mot, tandis que d’autres n’arrêtent pas de parler. Je suis en train de me perdre. Je ne peux pas passer le reste de ma vie coincé dans un lit avec d’autres personnes aussi désespérées tout autour de moi, mais je ne sais pas quoi faire. Je réapprends à prendre soin de moi. J’ai presque compris mes routines. Mais je m’ennuie... et je suis triste. Je pense que ce serait mieux si je déménageais plus près de ma famille à Toronto.
Ce matin, je suis au lit. Il n’y a que quelques fauteuils roulants ici, et je ne me suis pas levé assez tôt pour en prendre un. Il est difficile de se déplacer avec les chaises et l’osier est incroyablement inconfortable, mais je ne veux pas non plus avoir des escarres. Le Dr Botterell m’a appris que je devais me lever pour prendre soin de ma peau et gagner des forces. Le Dr Cone a également parlé de l’importance de se lever du lit. Il m’a parlé d’un fauteuil roulant pliant d’une entreprise des États-Unis. Il dit que je devrais essayer d’en obtenir un.
Malgré la fenêtre sale qui se trouve sur l’un des murs de la salle d’hôpital, je peux voir qu’il fait beau. J’aimerais qu’ils l’ouvrent pour que je puisse sentir l’air frais. Mais peut-être savent-ils que ce vent doux nous ramènerait tous à une époque où nous évitions les problèmes et nos journées étaient faciles.
Je remarque qu’il y a un nouvel homme dans la salle qui avance de patient en patient. Le Dr Cone lui a demandé de nous rendre visite. Quand il est arrivé jusqu’à moi, nous nous sommes présentés. C’est Jimmy Darou. Jimmy a aussi une lésion médullaire. Les premiers mots qu’il m’adresse sont : « Mais qu’est-ce que tu fais allongé et à t’apitoyer sur ton sort ? » Je suis un peu déconcerté, mais je dois dire que le fait de voir à quel point il est confiant me fait croire que je peux moi aussi prendre mon destin en main! Jimmy m’a donné de l’espoir ce jour-là.
Jimmy avait été jockey jusqu’à ce que son cheval lui tombe dessus pendant une course. Maintenant, il pompe de l’essence dans sa propre station-service au centre-ville de Montréal. Voir ce qu’il peut faire me donne le courage d’essayer de donner un but à ma vie. Jimmy vient régulièrement pour bavarder. C’est tout simplement fantastique d’avoir un pair qui comprend ce que je vis. Je sais maintenant que je peux faire tellement plus dans ma vie. Nous sommes des amis très proches et nous allons souvent au circuit ensemble.
Je déménage à Toronto, mais ma femme Maida ne vient pas. Nous avons mis fin à notre mariage. Je reste d’abord chez ma sœur, Elizabeth, et son mari, Walter Gordon. Je sais que je dois suivre le programme d’exercice de Jimmy pour devenir plus fort. Je fais de l’exercice pour la force du haut du corps tous les jours. Je dois aussi organiser certaines choses pour rendre ma vie plus confortable.
J’ai fini par retourner dans ma ville natale, Hamilton, pendant un an. Mais le travail me ramène à Toronto. J’obtiens une suite à The Park Plaza Hotel. J’ai de la chance, car je peux me payer des soins infirmiers privés. J’ai aussi des amis et ma famille qui peuvent m’aider. Un de mes amis, John McCarthy, est le fils de l’ambassadeur du Canada aux États-Unis. John m’aide à me procurer un de ces fauteuils roulants pliants, dont le Dr Cone a parlé, d’une entreprise californienne appelée Everest & Jennings. J’ai également commandé des commandes manuelles pour conduire ma voiture. Avec mon fauteuil roulant pliant et ma voiture, j’ai maintenant la liberté d’aller où je veux et quand je veux, pour la première fois en presque deux ans. En l’honneur de Jimmy, je vais au circuit et j’achète mon propre cheval. Je l’appelle Early Mischief!
Je repense à ce qu’avait dit le Dr Botterell. J’ai été l’un des premiers vétérans à rentrer à la maison. Il y en aura d’autres comme moi avec des lésions médullaires. Je dois partager avec eux tous les trucs et toutes les astuces que Jimmy a partagés avec moi. Et nous avons tous besoin de parler. Nous devons nous coordonner. Si nous ne planifions pas notre avenir, personne d’autre ne le fera.
Je rends visite aux vétérans de l’hôpital militaire de Christie Street. C’est un dépotoir. Les trains qui passent font trembler tout le bâtiment. Ils sont si proches qu’on peut les sentir dans les couloirs de l’hôpital et les lits sont couverts de crasse. Je leur rends régulièrement visite parce que je veux garder le moral des hommes. Je veux qu’ils sachent que le reste de leur vie ne ressemblera pas à leur séjour à l’hôpital militaire de Christie Street. Nous parlons de notre avenir. Ensemble, nous créons l’espoir.
Et qui revient au Canada pour être le neurochirurgien en chef de l’hôpital militaire de Christie Street? Le Dr Botterell. C’est un allié. Il nous soutient dans la création de notre avenir.
J’en ai assez de ne pas savoir quand ma pension et mes prestations arriveront ni à combien elles s’élèveront. Il est difficile d’obtenir des réponses de la part des fonctionnaires. Avec les organismes d’anciens combattants, je fais pression sur le gouvernement fédéral, qui crée le ministère des Anciens Combattants. Peu après, j’incite le ministère à fournir des aides essentielles, comme le fauteuil roulant pliant, pour aider les gens à être indépendants. Je veux aussi créer un centre de réadaptation pour les personnes atteintes de lésions médullaires. Je continue d’être porte-parole.
Le jour de l’An 1945, grâce au soutien du ministère des Anciens Combattants, nous dépensons 45 000 $ pour la maison qui deviendra le Lyndhurst Lodge. C’est une grande maison à Toronto, sur un bout de terrain de trois demi-hectares. Elle possède un gymnase, un court de tennis, un cinéma et un jeu de quilles. Nous embauchons le Dr Albin Jousse pour travailler avec le Dr Botterell et enseigner les techniques de développement personnel. J’embauche aussi des infirmières, des aides-soignantes, des cuisinières et des domestiques. Lyndhurst Lodge est le premier établissement de réadaptation au monde, dédié aux personnes atteintes de lésions médullaires. Je conduis jusqu’au Lodge, et je sors mon fauteuil. Je roule dans les couloirs, en saluant les gens. Puis, je remonte dans ma voiture et je leur dis que je suis en route pour les courses. Ils voient que la vie peut être grandiose!
Le 16 janvier 1945, sept d’entre nous décident de former l’Association canadienne des paraplégiques. Vous connaissez maintenant notre organisme sous le nom de Lésions médullaires Canada. Le 10 mai 1945, nous nous constituons en société. Je suis le premier président et directeur général de l’organisme. En 1950, les personnes atteintes de lésions médullaires de tout le pays sont unies. Notre travail est axé sur la réadaptation et l’autonomie. Nous travaillons avec le ministère des Anciens Combattants pour obtenir des aides à la mobilité et des pensions et avantages pour les anciens combattants. Cet organisme est l’œuvre de ma vie.
Pour mes efforts de guerre, je reçois la Croix militaire pour bravoure et l’Ordre de l’Empire britannique. Pour mes efforts à rejoindre les Canadiens atteints de lésions médullaires, je deviens membre de l’Ordre du Canada en 1967 et Officier de l’Ordre du Canada en 1972.
Je meurs avec fierté en 1976, en espérant que les hommes et les femmes qui me succèdent dans cet organisme continueront à lutter pour les droits et la liberté des personnes atteintes de lésions médullaires.
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